Biographie de Dmitri Nabokov
Dmitri Nabokov (1934-2012)
Dmitri Nabokov, né le 10 Mai 1934 à Berlin, chanteur d’opéra, alpiniste, coureur automobile, traducteur et collaborateur de son père, Vladimir Nabokov, s’est éteint le 23 février dernier à l’âge de soixante dix-sept ans.
Fils unique et choyé de l’écrivain et de son épouse Véra, Dmitri passe une vie entière à tromper la mort. Enfant russe de mère juive, il a échappe à la menace de l’oppression nazie à deux reprises, alors que lui et ses parents quittent enfin en 1937 l’Allemagne hitlérienne pour la France puis embarquent en 1940 pour les États Unis, un mois avant que la capitale française ne soit envahie. Alpiniste, il survit en 1952 à une chute de neuf mètres et, en décembre de la même année, échappe de peu à l’impact d’un astéroïde écrasé au Mexique à quelques mètres de son campement. Enfin, victime en 1980 d’un grave accident de voiture à l’âge de quarante-six ans, il est pris en charge par l’unité des grands brûlés de l’hôpital de Lausanne où il trouve (temporairement !) la mort. S’éveillant quelques heures plus tard, il dit avoir retenu la vision « classique » d’un tunnel de lumière avant de décider de rebrousser chemin, estimant avoir encore bien des choses à accomplir de l’autre côté.
Diplômé en 1955 de la Faculté de Droit de Harvard, Dmitri préfère la carrière de chanteur d’opéra à celle de juriste et intègre finalement la Longy School of Music de Cambridge, Massachusetts. Son père dit de lui à cette époque que parmi ses centres d’intérêt figurent (« dans cet ordre » !) l’escalade, les filles, la musique, la course automobile, le tennis et, enfin, ses études. Il devient par ailleurs traducteur et éditeur pour la revue Current Digest of the Soviet Press. Bientôt, et alors qu’éclatait l’ouragan Lolita, Vladimir Nabokov confie à son fils la traduction en anglais de l’avant-dernier roman qu’il avait écrit en russe, Invitation to a Beheading, publié en 1960. Cette traduction marque le début d’une collaboration fructueuse, l’auteur appréciant la richesse du vocabulaire anglais de son fils et Dmitri concédant à son père le privilège d’avoir toujours le dernier mot. Dmitri traduira notamment The Eye (1966), King, Queen, Knave (1968) et Glory (1971). En 1959,il part à Milan se former auprès d’un professeur de chant de La Scala, où il a acquiert une certaine notoriété, la presse italienne le surnommant alors « Lolito ». Sa vie amoureuse est riche et mouvementée, bien que Dmitri ne se soit jamais marié et qu’on ne lui connaisse pas de descendance. En 1975, de retour aux États-Unis, il réalise son rêve d’interpréter le Requiem de Verdi, de tout temps son œuvre lyrique préférée.
Si l’accident en Ferrari du 26 Septembre 1980 manque de peu de lui ôter la vie, l’épisode met bel et bien fin à sa carrière de chanteur. Dmitri le Phoenix décide alors de se consacrer à l’écriture : celle de son père, disparu trois ans plus tôt, et dont il continue de traduire les pièces de théâtre, lettres, ainsi que la nouvelle The Enchanter. Il entreprend par ailleurs à son tour l’écriture d’une œuvre : l’émouvant mémoire « On Revisiting My Father’s Room » que lui avait inspiré la mort de son père.
Vladimir Nabokov avait laissé derrière lui le manuscrit inachevé d’un dix-huitième roman, The Original of Laura. A la mort de Véra, en 1991, Dmitri devient le gardien légal de l’héritage littéraire. Le dilemme soulevé par la publication de cette œuvre embryonnaire, dont l’écrivain souhaitait qu’elle soit détruite après sa mort, l’occupe alors pendant près de vingt ans, Dmitri se déclarant tour à tour prêt à obéir à la volonté de son père puis résolu à publier contre toute attente le mystérieux manuscrit. Sa collaboration avec un nouvel agent littéraire, Andrew Wylie, à compter de 2008, contribue à sa décision finale de publier l’ouvrage dans sa forme authentique et incomplète, reproduisant pour ce faire l’apparence et le contenu des cent trente-huit fiches cartonnées de l’ébauche du roman. Selon Dmitri, The Original of Laura était « son meilleur roman », un pur concentré de l’activité créatrice de l’auteur
Dans les dernières pages de son autobiographie, Speak, Memory (1951), Vladimir Nabokov raconte que Dmitri, enfant, avait ramassé, sur une plage du sud de la France, un morceau de majolique brisé dont le motif peint perpétuait celui d’un premier fragment, trouvé par l’auteur lui-même, sur la même plage, des années auparavant. En relisant ces pages, on ne peut que faire le parallèle avec la qualité du regard que Dmitri portait sur l’œuvre de son père et qui lui permettait d’en prolonger la portée. Cette anecdote, choisie parmitant d’autres, nous montre combienla voix de Vladimir Nabokov perdurait à travers Dmitri. C’est donc cela : un dernier lien terrestre nous unissant à l’auteur, qu’il emporte avec lui.