Ida Junker, « Le Monde de Nina Berberova »
Paris, L’Harmattan, 2012, 298 p.
« Avec Vladimir Nabokov, Nina Berberova (1901-1993) est l’un des auteurs de la première vague de l’émigration russe les plus connus en France. En paraphrasant Lamartine, on pourrait dire qu’elle représente, aux yeux de ses lecteurs, un « siècle fait femme ». Lors du long périple qui la conduit de Saint-Pétersbourg à Philadelphie, en passant par Paris et New York, elle en devient témoin de tous les grands événements : la révolution d’octobre, les deux guerres mondiales, la chute du mur de Berlin et la fin du régime communiste.L’ouvrage d’Ida Junker est le premier essai qui analyse l’œuvre prosaïque, poétique et dramatique de cet auteur russe dans son intégralité. L’un de ses chapitres est consacré aux liens unissant Berberova et Nabokov qui, dans les débats littéraires des années trente, représentent « la jeune génération » de l’émigration.
Les points communs de leurs destins sautent aux yeux : non seulement ils sont nés dans la même ville avec deux ans d’écart, mais aussi dans la même rue, Bolchaïa Morskaïa, comme Berberova le souligne dans une note de son autobiographie. Tous les deux sont des poètes lyriques avant de passer, dans les années vingt, aux longs poèmes et aux récits, et enfin aux romans. Ainsi presque simultanément, ils trouvent le registre épique comme le plus adapté pour écrire sur l’exil. Cependant, ils n’abandonneront jamais la poésie.
Les étapes de leurs parcours sont aussi presque les mêmes : le Sud de la Russie, Berlin, Prague, Paris, enfin les États-Unis où tous les deux prennent un nouveau départ. Devenus professeurs de littérature dans de prestigieuses universités, ils ont la précieuse capacité d’enrichir considérablement leur enseignement, notamment grâce à leur trilinguisme, mais aussi en tant qu’écrivains, traducteurs et témoins de leur époque.
En même temps, dans leurs œuvres de fiction ils sont à de véritables antipodes, surtout au début de leur carrière. Ce n’est pas seulement la modernité qui s’oppose à la tradition, mais aussi la complexité baroque qui fait face à une écriture limpide et dépouillée. Néanmoins, il y a dans leurs œuvres respectives des rapprochements inattendus, des similitudes troublantes qui ressemblent parfois à des signes secrets
Parmi ses contemporains, Nabokov est sans doute l’écrivain le plus apprécié par Berberova. Dans son autobiographie C’est moi qui souligne, elle évoque leurs rencontres parisiennes. Quant à l’analyse approfondie de l’œuvre de Nabokov, elle est livrée dans son essai Nabokov et sa Lolita (1965).
La meilleure expression de son admiration est devenue cette remarque désormais célèbre : « Un grand écrivain russe, tel le phénix, était né du feu et des cendres de la révolution et de l’exil. Notre existence prenait dorénavant un sens. Toute ma génération s’en est trouvée comme justifiée. »