Vladimir Nabokov, enfant.
Vladimir Nabokov naît le 22 avril 1899 à Saint-Pétersbourg dans une famille de l’aristocratie russe, libérale et anglophile. Son enfance se déroule dans un cadre privilégié où il reçoit dès son plus jeune âge une éducation trilingue, l’anglais et le français (deux langues qui joueront un rôle déterminant dans la suite de son existence) s’ajoutant au russe. Ces années d’apprentissage, au cours desquelles il voyage avec ses parents à travers l’Europe (découvrant notamment la Côte d’Azur et Biarritz qui prêteront leur décor à quelques-unes de ses pages), sont marquées par la naissance de sa passion pour les lépidoptères, la lecture et l’écriture. De 1911 à 1917, il est élève à l’Institut Ténichev à Saint-Pétersbourg et publie son premier recueil de poèmes (1916).
La révolution bolchévique de 1917 met un terme brutal à cette jeunesse heureuse. Les Nabokov doivent abandonner leur demeure de la rue Morskaïa et trouvent d’abord refuge en Crimée. Mais en avril 1919, ils quittent la Russie pour Londres puis Berlin. Vladimir Nabokov ne le sait pas encore, mais il ne reverra plus sa terre natale. Entre 1919 et 1922, il est étudiant en littérature russe et française au Trinity College de Cambridge.
Nabokov, Berlin, 1926.
Son arrivée à Berlin coïncide avec trois événements majeurs : la mort tragique de son père, abattu en mars 1922 lors d’une réunion politique, la rencontre avec Véra Evséievna Slonim qui deviendra sa femme en 1925, et l’affirmation de sa vocation d’écrivain. Il publie des poèmes ainsi que des articles critiques et des traductions du français et de l’anglais dans nombre de journaux russes émigrés de Berlin et Paris, mais ce sont ses premiers romans, composés en russe sous le pseudonyme de Sirine – Machenka (1926), La Défense Loujine (1930), Chambre Obscure (1932), La Méprise (1934) et surtout Le Don (1937) – qui l’imposent sur la scène littéraire. Le Don, qui sera son dernier roman russe, est sans aucun doute l’une de ses œuvres les plus achevées. Ce texte foisonnant mêle une peinture fidèle des milieux émigrés de Berlin des années 1920, l’imaginaire des grands espaces de l’Asie, la biographie du philosophe et révolutionnaire russe Nikolaï Tchernychevski, et l’histoire de la naissance d’une vocation d’écrivain chez le personnage central, Fiodor Godounov-Tcherdyntsev. Au début de 1937, le couple Nabokov s’installe à Paris pour fuir le nazisme. La France sera la première étape de ce nouvel exil : en mai 1940, alors que l’Europe s’enfonce dans la deuxième guerre mondiale, Vladimir, Véra et leur fils Dmitri embarquent à Saint-Nazaire sur le Champlain à destination des Etats-Unis.
L’écrivain n’arrive pas dans le Nouveau Monde les mains vides. Il a passé les dernières années de son séjour parisien à composer son premier roman en langue anglaise, La Vraie Vie de Sebastian Knight. Le livre, qui paraîtra en mai 1941, marque pour Nabokov le début d’une ère nouvelle : tous ses romans seront désormais composés en anglais. Ce sont cependant ses compétences de scientifique et d’enseignant qui lui permettent d’abord de subvenir aux besoins de sa famille sur cette nouvelle terre d’asile. Entomologiste distingué, il obtient un poste au Museum of Comparative Zoology de Harvard (on lui doit la description de plusieurs espèces nouvelles) et donne des cours de littérature à Wellesley College. En 1948, il est nommé professeur à Cornell University où ses conférences sont consacrées aux grands écrivains européens de langue anglaise, française et allemande (Austen, Stevenson, Dickens, Joyce, Flaubert, Proust, Kafka) ainsi qu’aux maîtres de la littérature russe (Gogol, Tolstoï, Tourgueniev, Tchékhov).
C’est dans ce contexte qu’explose en 1955 la bombe Lolita. Le roman, qui paraît d’abord en France (mais en anglais), chez Olympia Press, avant d’être publié aux Etats-Unis trois ans plus tard au terme d’une longue bataille juridique, fait accéder Nabokov à une notoriété spectaculaire où le succès de scandale le dispute à la reconnaissance proprement littéraire. Si l’on oublie un instant son sujet sulfureux, Lolita est pourtant une œuvre de première grandeur. La maîtrise de la langue ne laisse aucun doute aux lecteurs avertis : un écrivain américain est né. L’immense succès du roman, qui devient un best-seller, permet à Nabokov de quitter le monde universitaire pour se consacrer à l’écriture et à ses papillons bien aimés. Cette décision s’accompagne d’un nouveau voyage : en 1961, Vladimir et Véra rentrent en Europe et s’installent dans une ville qui leur rappelle un peu la Russie perdue, Montreux. C’est dans une suite du Palace Hôtel que se poursuivra désormais l’aventure esthétique et entomologique.
Le succès de Lolita, en effet, n’entame en rien l’énergie créatrice de Nabokov. Il se lance dans le projet titanesque de traduire Eugène Onéguine, de manière littérale. L’entreprise débouche sur la publication d’un ouvrage en quatre volumes, le premier comprenant la traduction, les trois autres un appareil de notes pléthorique (1964). La chose est d’autant plus remarquable que Nabokov compose, tout en travaillant à sa traduction, l’un de ses romans les plus fascinants, le labyrinthique Feu pâle (1962). La forme de l’œuvre – un poème accompagné de son commentaire – fait d’ailleurs écho à son travail sur le roman en vers de Pouchkine, mais évoque aussi par sa complexité combinatoire les problèmes d’échecs qu’il aimait à composer.
Ces années particulièrement fécondes, au cours desquelles il se consacre également à la traduction en anglais de quelques-uns de ses romans russes, voient naître des œuvres brillantes, notamment Speak, Memory, la seconde version de son autobiographie (1966), Ada (1969), où coïncident un maniement virtuose de la langue anglaise et des thématiques souvent issues de la littérature russe du dix-neuvième siècle, et Look at the Harlequins (1974), dans lequel le Maître revisite, sur un mode fictionnel et parodique, l’ensemble de son œuvre. Il s’agit presque d’un testament : Vladimir Nabokov disparaît le 2 juillet 1977, laissant derrière lui le manuscrit inachevé de son dernier roman, The Original of Laura.