C’était à S., telle que je la vois encore parfois la nuit, au creux des champs plats invisibles, comme une ombre cachée sous un arbre. Dans l’ombre, encore plus, le dessous d’un autre arbre feuillu, vu celui-ci depuis un balcon, pas très loin de la méditerranée, dans la rumeur d’une petite ville que j’ai tant imaginée, au soleil brûlant…Un soleil brûlant sur une route trop grande pour l’Europe, et très loin de toute forme d’eau, dans un nuage de poussière de sable, qui se gonfle tant de sable et d’air, devenant si gonflé de sable volant noircit qu’on ne voit plus aucun arbre ni le balcon, seulement une chevelure couverte de sable des routes, et une nuit noire. Une fille de notre âge, de dos, avec les cheveux longs mouillés, lit sur le balcon perché dans les branches d’un arbre, en robe courte. Elle lit profondément, puis un jour toi aussi tu me dis que tu as relu ce roman cet été. Une fille de notre âge à peu près (je ne me souviens jamais quel âge j’ai) les cheveux pleins de poussière de route de nuit, allongée sous les branches dans une ombre qui forme comme un trou, on pourrait croire qu’elle fait semblant de lire parce que quelqu’un la regarde de très loin, ou alors elle a beaucoup oublié. Toutes ces portes qui se ressemblent…Des mois plus tard, tu me diras que tu viens de le relire, et des années plus tard, au milieu des sapins et de l’asphalte dorée à toute vitesse, je ne serai pas loin pour la première fois, mais il n’y aura pas de sable, et j’entreverrai ce trou creusé dans les airs pour s’asseoir dessus, et la plongée dedans, un été, ou plusieurs étés.
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Julie Loison-Charles, Vladimir Nabokov ou l’écriture du multilinguisme : mots étrangers et jeux de mots, Paris, Presses Universitaires de Paris-Ouest, 2016.
ACTUALITÉS : Chercheurs Enchantéshttp://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100784340
« La mondialisation, les mouvements de population et l’accélération des échanges internationaux signifient que nous sommes tous potentiellement étrangers, avec toutes les connotations que ce terme peut porter en lui. Cela implique aussi que le bilinguisme et le recours aux mots étrangers touchent un nombre incommensurable de personnes, qu’il s’agisse des couples de nationalités différentes dont les enfants bilingues vivent entre deux langues, des immigrés vivant en situation de diglossie entre leur foyer et leur pays d’adoption, ou encore des personnes qui, dans le cadre de leur travail, côtoient des collègues de tous horizons et parlent un anglais « globish » entre deux meetings. En littérature contemporaine, de nombreux auteurs ayant immigré ou choisi l’anglais pour s’ouvrir un plus grand public incorporent leur double culture et leur double langage dans leur écriture. Un des premiers écrivains du vingtième siècle à avoir accepté et revendiqué haut et fort son héritage polyglotte est Vladimir Nabokov.
Sa prose en anglais porte les traces d’un métissage linguistique qui lance au lecteur une invitation au voyage. Elle se caractérise également par une grande créativité qui incite le lecteur à jouer avec le texte et ses nombreux calembours. C’est cette invitation au voyage et au jeu que cet ouvrage se propose de suivre et d’éclairer. »
Alex Beam, The Feud: Vladimir Nabokov, Edmund Wilson, and the End of a Beautiful Friendship, Pantheon, 2016.
ACTUALITÉS : Nouvelles nabokoviennesAnn Hulbert, « A Portrait of “Literary Malice” », The Atlantic, December 2016.
https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2016/12/cover-to-cover/505847/
In his most recent book, Alex Beam details the disintegration of Vladimir Nabokov and Edmund Wilson’s friendship.
« The dazzling correspondence between Vladimir Nabokov and Edmund Wilson, two giants of 20th-century letters who met in 1940 and kept in close touch through the 1950s, is legendary. Less well known is their falling-out, triggered by, of all things, a Pushkin translation: In 1965, in The New York Review of Books, Wilson called Nabokov’s version of Eugene Onegin “disastrous.” When Alex Beam, a columnist for The Boston Globe, recently learned about the feud, he “burst out laughing.” How could such men be so silly?
His probing has produced a concise portrait of “literary malice,” which he notes was a specialty taught by a favorite secondary-school teacher of Nabokov’s. It is also contagious, as Beam demonstrates. His acerbic account of even the “beautiful friendship” phase isn’t flattering. The multilingual one-upmanship, the barbed assessments of each other’s work: Why, you’ll wonder, did the two enjoy spending time together?
Beam’s caustic treatment of the “seven-plus years of malicious rhetoric” that ensued after Wilson’s review is mercifully brief. If all the hifalutin nastiness is enough to leave a bitter taste, it also inspires an intense urge: to return to the books that show both writers at their best. »
Stephen Blackwell & Kurt Johnson (eds.), Fine Lines: Vladimir Nabokov’s Scientific Art, Yale University Press, 2016.
ACTUALITÉS : Nouvelles nabokoviennes« The book contains 148 of Nabokov’s scientific drawings with detailed explanatory captions by (mostly) Kurt, and six reproductions of VN’s inscription drawings to Véra, along with essays by several scientists and Nabokov specialists who have written about or built upon Nabokov’s lepidoptery. The drawings are nearly all reproduced at their full size (4×6 inches), and all are at very high resolution. 62 of the plates are in color. Table of Contents attached. Teaser: Robert Dirig determines the real imaginary location of New Wye in Pale Fire. »
Michael Rodgers, Susan Elizabeth Sweeney (Eds.), Nabokov and the Question of Morality. Aesthetics, Metaphysics, and the Ethics of Fiction, Palgrave Macmillan US, 2016.
ACTUALITÉS : Chercheurs Enchantés« A volume that Susan Elizabeth Sweeney co-edited with Michael Rodgers, Nabokov and the Question of Morality: Aesthetics, Metaphysics, and the Ethics of Fiction, has just come out from Palgrave Macmillan. It addresses the vexing issue of Nabokov’s moral stances, arguing that he designed his works as open-ended ethical problems–concerning good or bad reading, God’s existence, the nature of evil, agency and altruism, and the ethics of representing sex, punishment, and suffering, among other topics–for readers to confront. The volume includes essays by Gennady Barabtarlo, Julian Connolly, Leland de la Durantaye, Jacqueline Hamrit, Elspeth Jajdelska, Laurence Piercy, David Rampton, Michael Rodgers, Samuel Schuman, Susan Elizabeth Sweeney, Tom Whalen, and Michael Wood.
Dana Draguniou calls the book « A tremendous achievement . . . Fyodor, the protagonist of Nabokov’s Russian magnum opus The Gift, notes that reading Pushkin is like having the capacity of one’s lungs expanded; reading these essays offers a similarly bracing experience. » Thomas Karshan praises it for treating « Nabokov’s eerie and insistent moral simplicity as a question and a puzzle, extending his ethical intricacy well into » many new topics for critical exploration. »
http://www.palgrave.com/us/book/9781137596666
Alexia Gassin, L’œuvre de Vladimir Nabokov au regard de la culture et de l’art allemands. Survivances de l’ expressionnisme, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang, collection « Comparatisme et Société / Comparatism and Society », vol. 32, 2016.
ACTUALITÉS : Chercheurs Enchantés« Jusqu’à présent, les études nabokoviennes ont tendance à ignorer l’influence de la culture allemande sur l’œuvre de Vladimir Nabokov. Ce faisant, elles se conforment aux propos de l’écrivain qui a fréquemment déclaré que, malgré ses quinze années passées en Allemagne (1922–1937), il a toujours évité tout contact avec la langue et l’univers allemands. Pourtant, bien que l’émigration russe à Berlin vive en vase clos, les frontières entre les mondes russe et allemand ne sont pas si étanches, ce qui apparaît nettement dans les fréquentes allusions littéraires de l’écrivain à des œuvres de littérature, de cinéma et de peinture allemandes.Le présent ouvrage a donc pour objectif de lire l’œuvre de Nabokov dans le contexte de l’art allemand de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, notamment de l’esthétique expressionniste et de trois de ses grands thèmes majeurs, à savoir l’altération du psychisme humain, l’ambivalence de la figure féminine et la représentation de la grande ville. Il vise ainsi à proposer une nouvelle interprétation des œuvres russes de Nabokov, à reconstruire le contexte culturel berlinois (cinéma et peinture) dans lequel ces dernières furent créées et à montrer que l’écrivain n’était pas si hermétique à la culture allemande qu’il voulait bien le laisser entendre. »
Robert Roper, Nabokov in America. On the Road to Lolita, Walker and Company, 2015.
ACTUALITÉS : Nouvelles nabokoviennes« The author of the immortal Lolita and Pale Fire, born to an eminent Russian family, conjures the apotheosis of the high modernist artist: cultured, refined-as European as they come. But Vladimir Nabokov, who came to America fleeing the Nazis, came to think of his time here as the richest of his life. Indeed, Nabokov was not only happiest here, but his best work flowed from his response to this exotic land.
Robert Roper fills out this period in the writer’s life with charm and insight–covering Nabokov’s critical friendship with Edmund Wilson, his time at Cornell, his role at Harvard’s Museum of Comparative Zoology. But Nabokov in America finds its narrative heart in his serial sojourns into the wilds of the West, undertaken with his wife, Vera, and their son over more than a decade. Nabokov covered more than 200,000 miles as he indulged his other passion: butterfly collecting. Roper has mined fresh sources to bring detail to these journeys, and traces their significant influence in Nabokov’s work: on two-lane highways and in late-’40s motels and cafés, we feel Lolita draw near, and understand Nabokov’s seductive familiarity with the American mundane. Nabokov in America is also a love letter to U.S. literature, in Nabokov’s broad embrace of it from Melville to the Beats. Reading Roper, we feel anew the mountain breezes and the miles logged, the rich learning and the Romantic mind behind some of Nabokov’s most beloved books. »
Juliette Kahanne, Une fille, Editions de L’Olivier, 2015.
ACTUALITÉS : Nouvelles nabokoviennes« Enfant, elle grandit entre sa grand-mère et sa mère, entre désordre et mélancolie, dans un véritable capharnaüm. De temps en temps, un homme séduisant qui l’impressionne et la rend muette l’emmène dîner dans une boîte de nuit. Cet homme est son père, Maurice Girodias, don Juan et dandy, éditeur de Lolita, Miller et Burroughs, héros de la lutte contre la censure pour certains, aventurier sans scrupules pour d’autres. L’enfant devient adolescente, et comprend qu’elle doit compter sur elle-même. Au milieu des années 60, elle a dix-sept ans et entreprend une traversée de la Californie, qui à cette époque libertaire prend vite l’allure d’un voyage initiatique. De retour en France, l’adolescente devenue femme se révolte. Nous sommes en mai 68.
Mais est-il possible de mener le récit d’une enfance et d’une adolescence sans faire face au silence, à la honte et au mensonge ? Juliette Kahane affronte l’histoire de son père, ouvre les caisses d’archives qu’elle a héritées de lui, et se résout enfin à lire son autobiographie, Une journée sur la terre. »
On Lolita – Ed Dodson
NABOKONOVICES – Premières lecturesI first read Nabokov in the summer of 2009, mid-way between my first and second year of studying English at the University of Leeds. Lolita had been on my horizon, but never in my hands, during those opening semesters of undergraduate life; it had not fit into the theoretical mould by which prose fiction had been presented to us. Nonetheless, I was well prepared for the novel’s postmodern tomfoolery, its deceptive and unreliable narrator, and its transgression of art’s ethical boundaries – but not for its tenderness. After a failed attempt, towards the end of the novel, to reclaim the love of his life, Humbert Humbert admits: ‘presently I was driving through the drizzle of the dying day, with the windshield wipers in full action but unable to cope with my tears’ (chapter 29, p.280). Just as the ‘drizzle’ mimicked (and mocked?) his tears, so did Humbert’s match my own.
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Annabel and Lolita: First and Second Encounters – Beci Dobbin
NABOKONOVICES – Premières lecturesThat Nabokov isn’t particularly interested in our first encounter with Lolita may be deduced in part from the fact that the novel’s thematisation of second encounters is hidden from us on our first reading. The opening address to: ‘Lolita, light of my life, fire of my loins …’ reads like the invocation of a first love, and it’s only in the third paragraph that we understand Lolita to be Humbert’s second love, following ‘a certain initial girl-child’ called Annabel. The irony by which our first encounter with the love of Humbert’s life in the first line, is his second encounter with her – albeit in another form – is lost on us until our second reading. Both in our reading of the novel and in the story Humbert tells, it’s second encounters that really matter. The naivety of the first-time reader is of little use in interpreting Nabokov’s palimpsest of echoes, and the book is called ‘Lolita’ rather than ‘Annabel’, because it’s Lolita who is irreplaceable: there’s no third love.
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L. – Cécile Jeanson
NABOKONOVICES – Premières lecturesC’était à S., telle que je la vois encore parfois la nuit, au creux des champs plats invisibles, comme une ombre cachée sous un arbre. Dans l’ombre, encore plus, le dessous d’un autre arbre feuillu, vu celui-ci depuis un balcon, pas très loin de la méditerranée, dans la rumeur d’une petite ville que j’ai tant imaginée, au soleil brûlant…Un soleil brûlant sur une route trop grande pour l’Europe, et très loin de toute forme d’eau, dans un nuage de poussière de sable, qui se gonfle tant de sable et d’air, devenant si gonflé de sable volant noircit qu’on ne voit plus aucun arbre ni le balcon, seulement une chevelure couverte de sable des routes, et une nuit noire. Une fille de notre âge, de dos, avec les cheveux longs mouillés, lit sur le balcon perché dans les branches d’un arbre, en robe courte. Elle lit profondément, puis un jour toi aussi tu me dis que tu as relu ce roman cet été. Une fille de notre âge à peu près (je ne me souviens jamais quel âge j’ai) les cheveux pleins de poussière de route de nuit, allongée sous les branches dans une ombre qui forme comme un trou, on pourrait croire qu’elle fait semblant de lire parce que quelqu’un la regarde de très loin, ou alors elle a beaucoup oublié. Toutes ces portes qui se ressemblent…Des mois plus tard, tu me diras que tu viens de le relire, et des années plus tard, au milieu des sapins et de l’asphalte dorée à toute vitesse, je ne serai pas loin pour la première fois, mais il n’y aura pas de sable, et j’entreverrai ce trou creusé dans les airs pour s’asseoir dessus, et la plongée dedans, un été, ou plusieurs étés.
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