I first read Nabokov in the summer of 2009, mid-way between my first and second year of studying English at the University of Leeds. Lolita had been on my horizon, but never in my hands, during those opening semesters of undergraduate life; it had not fit into the theoretical mould by which prose fiction had been presented to us. Nonetheless, I was well prepared for the novel’s postmodern tomfoolery, its deceptive and unreliable narrator, and its transgression of art’s ethical boundaries – but not for its tenderness. After a failed attempt, towards the end of the novel, to reclaim the love of his life, Humbert Humbert admits: ‘presently I was driving through the drizzle of the dying day, with the windshield wipers in full action but unable to cope with my tears’ (chapter 29, p.280). Just as the ‘drizzle’ mimicked (and mocked?) his tears, so did Humbert’s match my own.
That Nabokov isn’t particularly interested in our first encounter with Lolita may be deduced in part from the fact that the novel’s thematisation of second encounters is hidden from us on our first reading. The opening address to: ‘Lolita, light of my life, fire of my loins …’ reads like the invocation of a first love, and it’s only in the third paragraph that we understand Lolita to be Humbert’s second love, following ‘a certain initial girl-child’ called Annabel. The irony by which our first encounter with the love of Humbert’s life in the first line, is his second encounter with her – albeit in another form – is lost on us until our second reading. Both in our reading of the novel and in the story Humbert tells, it’s second encounters that really matter. The naivety of the first-time reader is of little use in interpreting Nabokov’s palimpsest of echoes, and the book is called ‘Lolita’ rather than ‘Annabel’, because it’s Lolita who is irreplaceable: there’s no third love.
C’était à S., telle que je la vois encore parfois la nuit, au creux des champs plats invisibles, comme une ombre cachée sous un arbre. Dans l’ombre, encore plus, le dessous d’un autre arbre feuillu, vu celui-ci depuis un balcon, pas très loin de la méditerranée, dans la rumeur d’une petite ville que j’ai tant imaginée, au soleil brûlant…Un soleil brûlant sur une route trop grande pour l’Europe, et très loin de toute forme d’eau, dans un nuage de poussière de sable, qui se gonfle tant de sable et d’air, devenant si gonflé de sable volant noircit qu’on ne voit plus aucun arbre ni le balcon, seulement une chevelure couverte de sable des routes, et une nuit noire. Une fille de notre âge, de dos, avec les cheveux longs mouillés, lit sur le balcon perché dans les branches d’un arbre, en robe courte. Elle lit profondément, puis un jour toi aussi tu me dis que tu as relu ce roman cet été. Une fille de notre âge à peu près (je ne me souviens jamais quel âge j’ai) les cheveux pleins de poussière de route de nuit, allongée sous les branches dans une ombre qui forme comme un trou, on pourrait croire qu’elle fait semblant de lire parce que quelqu’un la regarde de très loin, ou alors elle a beaucoup oublié. Toutes ces portes qui se ressemblent…Des mois plus tard, tu me diras que tu viens de le relire, et des années plus tard, au milieu des sapins et de l’asphalte dorée à toute vitesse, je ne serai pas loin pour la première fois, mais il n’y aura pas de sable, et j’entreverrai ce trou creusé dans les airs pour s’asseoir dessus, et la plongée dedans, un été, ou plusieurs étés.
There were two authors in our family’s library forbidden to me as a child: Fyodor Dostoevsky and Vladimir Nabokov. The first was forbidden because, in the words of my mother, my “nerves wouldn’t be able to handle all the drama and tension.” And Nabokov’s works, kept in the glass-fronted cabinet of the living room, were taboo for the time being because I “wasn’t ready to appreciate the greatest Russian prose writer.” That sounded like a challenge and so, while still in middle school, I decided to prove my parents wrong on both accounts: my emotional maturity and intellect.
I recall a Mediterranean countryside over a decade ago. The long silhouette of a cypress tree extended its back against the wall of our redbrick house, vying until noon with the prickly stems of caper berry shrubs. After short, stormy nights, scattered pools formed crevasses in the grass. Light reflected off the water like slippery scales. I was sitting down on a white wicker chair, studiously wading through Lolita for the first time. I lay still in my washed-out red bathing suit, while my mother’s cousin (a versatile double of VN), palette in hand, eyes just slightly open, drew a watercolor of that morning. The drawing vanished several years later, but what remains today, let loose on the pages of my Lolita, are stains of suntan lotion and a maze of circles betraying the number of English words I did not know. Vexing as they were, those words, they shone on the page like clues planted by a sly illusionist who whispered in my ear that unfold his magic carpet he would, as soon as I lifted that dictionary slumped idly on the grass.
Pour beaucoup, Lolita est un livre qui se découvre la nuit. L’image évoque celle d’une adolescente dévêtue derrière des volets où se déroule « un spectacle que le plus blasé des voyeurs aurait payé cher pour voir ». En ce qui me concerne Lolita est définitivement lié au soleil d’été, celui de mes 20 ans : le cadeau d’une amie d’enfance qui me harcelait depuis des années pour me prêter son exemplaire. Je croyais avoir trouvé la parade : « De toutes façons, je n’aime pas lire les traductions. » Il en fallait plus pour décourager Faïza qui, à l’occasion d’un week-end à la campagne, m’a offert le livre en version originale.
Une lecture n’engage à rien : ni au retour, ni à la connaissance durable, ni même à la certitude d’aimer. Que nous ayons poursuivi nos lectures avec minutie ou obsession, dans le cadre de la recherche, de l’enseignement, ou de la prose journalistique, nous avons pourtant gardé le souvenir de nos découvertes de l’œuvre de Vladimir Nabokov. Professeur de littérature, Nabokov disait à ses étudiants : « On ne peut pas lire un livre, on ne peut que le relire. Un bon lecteur, un lecteur actif et créateur est un re-lecteur. » Selon lui, ce lecteur « actif et créateur » ne peut réellement prêter attention au style littéraire que lorsqu’il a déjà une idée de la structure d’ensemble du roman. L’attention au détail, objectif primordial de la lecture, selon lui, nécessite la connaissance préalable du tout. Il n’en reste pas moins qu’une première lecture d’un roman aimé est un événement inoubliable, ce que Nabokov n’aurait su contredire. Une première lecture, parce qu’elle précède logiquement l’espoir ou même l’instinct de la relecture et de la recherche, est un moment privilégié, déroutant : un dialogue instinctif qu’aucune relecture ne saurait recréer. C’est d’ailleurs le secret des pédants et des érudits qui peuplent l’œuvre nabokovienne: rien ne surpasse tout à fait la curiosité de l’innocence, les émotions fragiles d’une toute première rencontre. Nous invitons nos collègues, nos amis et le plus grand nombre de curieux à se replonger dans l’émotion de leur première lecture d’un texte de Vladimir Nabokov et à nous en faire partager, dans leurs mots à eux, la particularité d’une aventure personnelle.